Découverte

C'était son premier jour. Et, très franchement, Alexandre n'était pas très à l'aise. Complètement perdu dans cette école, dans laquelle il allait devoir prendre de nouvelles habitudes, un nouveau rythme de vie, et surtout, retrouver un carcan comme il n'en avait plus eu depuis un moment, son père ne s'occupant plus de lui. Ca allait être assez déstabilisant, tout cela... C'est peut-être l'envie de ne pas tomber sur un professeur ou un membre du personnel qui l'avait poussé, après avoir visité son bungalow, à aller ailleurs que dans le manoir, où il serait certain d'en croiser.
Il avait donc opté pour le bâtiment de détente. Plus précisément la cafétéria. Il ne savait pas trop comment il allait faire pour rencontrer de nouveaux gens, faire de nouvelles connaissances, des amis, peut-être. Ou pas. Avec le don qu'il avait pour semer la zizanie... Les gênes, que voulez-vous...

Il s'avança d'un pas lent dans le bâtiment et poussa la porte de la cafétéria, examinant les lieux d'un regard craintif. Hého... Il y avait bien quelques élèves, pour dire que c'était la matinée et que, peut-être, ils avaient cours, mais d'après le règlement, y assister n'était pas obligatoire, alors...
Il se glissa dans la pièce et avança rapidement jusqu'à une table, sans regarder qui que ce soit. Il avait aussi un peu peur de se retrouver au centre d'un rituel de bizutage. Oh pis merde, Alex, t'as presque vingt ans, oui ou non? Tu vas pas te laisser bizuter par de demi-dieux dont la moyenne d'âge est de... Euh... Quelle était la moyenne d'âge, au juste?

Le jeune homme tira une chaise et s'installa à une table, tout au fond de la salle. Il avait bien quelques drachmes, en poche, mais avait préféré ne rien commander - histoire de ne pas commencer à dépenser dès le premier jour... Il loosait donc, tout seul, à sa table, le regard dans le vague, cachant ses yeux noirs derrière ses cheveux. Ce n'était pas comme ça qu'il allait faire la connaissance de quelqu'un... Va vers les gens, Alex, bon sang, va faire connaissance !

*Et si j'me faisais envoyer sur les roses...? répondit-il à la petite voix, dans son crâne.*

Là c'était sûr, il n'allait pas se faire des amis de si tôt, l'Alexandre...

Il était environ neuf heures. Orwalle n'avait pas dormi depuis quarante-huit heures et elle était en manque, de caféine. Pas que de caféine, d'ailleurs. Dans le parc, elle secoua la tête, agitant ses mèches bleu pétrole. Elle avait vraiment besoin d'un café.
La jeune fille se dirigea d'un bon pas vers le batiment de détente. Elle évita la porte et se plaça sous une fenêtre entrouverte. Elle attrapa le rebord et se hissa avant d'entrer sous les yeux médusés des petit-déjeuneurs.
C'était tellement ringard de passer par la porte ! Elle sortit quelques pièces de sa poche et se paya un café turc, sans sucre, et des croissants, tant qu'elle y était. Sur son plateau, il y avait assez pour nourrir un régiment.
Orwalle recherchait un peu de compagnie. Elle en avait assez de jouer les solitaires. Elle se dirigea vers une table où se tenait un garçon, seul. Sans lui demander son avis, elle posa son plateau et s'assit. Elle tourna alors son regard vers une tasse qu'on lui avait sûrement déposée par erreur.
Tant mieux, elle avait très faim. Elle avala le contenu de la tasse avant de le recracher deux secondes plus tard en jurant dans un mélange de russe et de japonais :

- P'tain, mais qui est-ce qui m'a foutu cette saloperie de thé vert ?!

Instinctivement, elle avait sauté sur ses pieds. Ce devait être le manque de sommeil, mais elle était prête à assassiner quelqu'un à cause d'une simple tasse de thé vert. En effet,bien qu'elle eut passé plusieurs années au Japon, elle n'avait jamais pu s'habituer au goût de cette boisson infâme.
Elle avisa alors le garçon en face d'elle. Si c'était lui qui s'amusait à l'empoisonner, il allait passer un sale quart d'heure...

Martin venait d'arriver et de quitter sa chambre. Après une légère visite du manoir qu'il trouva quelque peu vieillot il trouva quelques pièces plutôt sympa dont la cafétéria. Il pourrait se boire un coca et rencontrer de potentiels demi-frères ou soeurs. C'est qu'il ne connaissait personne et qu'en bon fils d'Aphrodite se devait d'être bien entouré d'amis !
Il pénétra dans la salle.

-Pas mal, murmura-t-il de sa voix mélodieuse.

Il chercha une table des yeux puis découvrit qu'il y avait dans la pièce deux adolescents. Ceux-ci étaient assis à une table. L'un était grand, sans doute 19-20 ans, cheveux noirs, plutôt grand. Cela rassura Martin qu'il ne fut pas aussi beau que lui. Il détestait la concurrence. Mais de toute façon, qui aurait pu dépasser sa beauté sur-humaine ? Il était un véritable Dieu ! Un corps parfait, un visage parfait...Enfin bref, sans doute le beau-gosse de l'île.
IL regarda attentivement l'adolescente en face du garçon. Elle était plutôt belle, assez musclé, elle dégageait quelque chose... de fort. Oui, de la force ! De la puissance. Martin sourit, il se dirigea vers eux et les salua:

-Bonjour, je suis nouveau. Je m'appelle Martin (sourire angélique).

Il marqua une pause, puis, se rendant comte qu'il avait toujours son Mp3 coinçait entres ses oreilles il l'éteignit.

-Je peux m'assoir à côté de vous ? demanda-t-il d'un air détaché.

Juan venait d'arriver sur l'île et il avait les crocs !

Dès qu'il trouva un plan du manoir, il se dirigea d'office vers la cafétéria. En chemin, il croisa une fille brune, aux traits légèrement asiatiques. Ses lentilles le renseignèrent : morts plus probables, une overdose ou un suicide. A éviter, elle était probablement camée jusqu'aux yeux. M'enfin, il devait y avoir de jolis brins de filles avec qui faire la fête, sur cette île. Surtout si il y avait des enfants d'Aphrodite...

Il entra dans la cafétéria et se choisit trois sandwiches parmi les plus gros. Ses parents l'avaient largement fourni en euros qu'il avait changés en drachmes à son arrivée. Il décida ensuite de trouver une table où il pourrait se faire des amis. Donc pas trop de monde.

Au fond, il y avait trois personnes. Une des silhouettes se leva en hurlant quelque chose dans une langue incompréhensible, mais vu le ton, ça ne devait pas être joli joli.
Cette table était parfaite, avec la cinglée de service en crise de hurlements, personne ne ferait attention à lui.

Il rejoignit celui qui restait debout, attendant une permission pour s'asseoir.

Alexandre ou l'art d'attirer tout le monde à sa table sans avoir rien fait. Tout d'abord, cette fille qui était venue s'asseoir à sa table sans crier gare, et qui s'énervait pour du thé vert, puis ce mec aussi nouveau que lui, avec ses airs de bellâtre et ses écouteurs sur les oreilles, et finalement un latino loveur typique qui s'était ajouté au groupe, sans rien dire, attendant certainement qu'on lui adresse la parole. Ouais...

"Where the hell am I..."

La grande question. Bordel, mais où est-ce que je suis tombé? C'est quoi ces malades, qui squattent, qui ignorent tout de la politesse et ... Hm, ça fait ringard de penser ça, mec. Même si, dans le fond, il était content de les voir, de ne pas avoir eu à aller au devant de gens, la situation dans laquelle il se trouvait le mettait malgré tout mal à l'aise.
Ce qui le gênait le plus, c'était la concentration de personne avec fort taux de testostérone ici, alors qu'une seule femelle avait pointé le bout de son nez. Il y avait quand même un bug quelque part, là... Il aurait tellement préféré qu'il n'y ait que la jeune fille... Elle était jolie, il fallait bien l'avouer, alors bon...

"Euh... Beuh... Bah... Hem... Er..."

Belle série d'onomatopées, non?

"You can... Oui, vous pouvez... Enfin non, tu peux t'asseoir... Euh... Toi aussi, hein... fit-il, maladroit, à l'attention de Martin et Juan."

Orwalle vit le premier mec qu'elle avait vu afficher une tête montrant son ravissement à avoir attiré autant de monde à sa table. Il dit aux deux autres qu'ils pouvaient s'assoir. La jeune fille se rendit compte qu'elle s'était levée dans son hurlement et se laissa retomber sur sa chaise avec lassitude.

Elle en avait assez de passer pour une psychopathe, assez d'être une asociale timbrée, assez d'être détestable. Oui, mais pour changer d'image, il fallait peut-être qu'elle commence à s'y mettre. Elle attrapa la tasse et vida le fond de thé vert qui restait par la fenêtre derrière elle. Elle se tourna vers son plateau et se rendit compte qu'elle n'avalerait jamais tout cela. Elle attrapa son café, but une gorgée pour se donner contenance et se tourna vers les autres en désignant les croissants.

- Vous en voulez ? Finalement, j'ai pas super faim. Au fait, moi c'est Orwalle.

Elle étudia alors plus attentivement les autres. Le grand, à la table duquel elle s'était incrustée. Il devait avoir dans les dix-neuf vingt ans. Plutôt pas mal. Probablement un nouveau, comme les deux autres. Un mec avec un Mp3 sur les oreilles. Surement un gosse d'Aphrodite. Et un brun aux yeux bleus, grosso modo dix-neuf ans.
Elle se sentait un peu solo, au milieu de tous ces mâles. Surtout qu'ils frisaient tous le mètre quatre-vingts ou plus. Elle et son mètre soixante, soixante-cinq faisaient pâle figure. Menfin bon.
Elle adressa la parole à celui qui venait d'enchainer une jolie série de nonsenses. Elle lui devait quelques explications pour avoir tapé l'incruste comme ça.

- Désolée d'être venue squatter sans te demander ton avis. Disons que je te dois des excuses.

La russe espérait que ses croissants feraient office d'offre de paix convenable. Sinon, ses armes étaient d'habitude des arguments assez persuasifs. Elle regarda les deux autres squatteurs, mais qui avaient au moins la politesse de demander, eux. Mouais, c'était sûrement des nouveaux, vu qu'ils n'étaient pas au courant qu'elle était LA personne à éviter. Tant mieux, elle allait éviter de les mettre au courant.

Martin avait vite vu son instant de gloire s'estomper. Raison: un grand gars genre latino venait de taper l'incruste.

*Un ami de plus !* se dit Martin, ravis.

Le garçon qui était assis à la table leur répondit avec l'aide d'un bredouillement étrange qu'ils pouvaient s'assoir. Il s'exécutèrent. La seule fille de la classe fit ensuite une brève explication au premier garçon puis le silence s'installa à la table.

-Et sinon, c'est quoi vos noms ? demanda l'enfant d'Aphrodite.

Seul moyen que le garçon avait trouvé pour relancer la conversation. Il attendit les réponses tout en sirotant le coca qu'il s'était acheté avant de s'assoir. La fille à côté de lui avait des croissants et on peut l'avouer: il luttait pour ne pas se servir.
Il n'avait pas beaucoup d'argents et le soda était la seule chose qu'il avait pu s'acheter avec ses misérables économies.

*Qu'est-ce que j'ai faim...* se paignit-il silencieusement.

Hésitant moins que l'enfant d'Aphrodite, Juan s'assit dès que le garçon l'y autorisa. Il avala l'un de ses sandwiches avant même que quelqu'un ait vu qu'il y en avait trois et s'attaqua sans aucune gène aux croissants que la fille proposait si gentiment. Lorsqu'il avait vraiment faim, l'espagnol pouvait avaler n'importe quoi. Et il avait vraiment faim.

Entre deux bouchées, il répondit au beau gosse de service qui leur demandait leurs noms. Il avait déjà avalé deux croissants.

- Juan. Y vosotros, como os llamais ?

Instinctivement, il avait parlé en espagnol. Il prit quelques bouchées de son deuxième sandwiche avant de traduire, tout en massacrant allégrement le grec ancien. Il avait un fort accent et intercalait sans aucune gène des mots de sa langue dans son discours lorsqu'il ne connaissait pas la traduction. Cela donnait quelque chose de difficilement compréhensible, surtout si il parlait vite.

- Perdon. Comment vous vous appelez ?

Le dernier sandwich disparut. Juan avait encore faim, mais ça n'était pas sympa de piquer tous les croissants de la fille, Orwalle, comme elle disait, avant que les autres n'y aient gouté.
Surtout que l'espagnol en avait déjà avalé la moitié.

Faites que ça parte pas en cacahouètes, faites que mon don pour la zizanie ne vienne pas tout gâcher, pensait Alexandre. Pour le moment, l'état des choses n'avait pas l'air mal. Le fils de la discorde n'avait prononcé que trois mots, plus ou moins, et il espérait qu'il n'y ait pas grands risques que ces mots fâchent la tablée. Il refusa poliment les croissants d'un geste de la main - il n'avait pas faim - et, dans son geste, en grand maladroit, embarqua la tasse de café d'Orwalle, qui se déplaça de quelques centimètres vers le bord, avant de se renverser allègrement sur le fils d'Aphrodite - à noter que je suppose que le breuvage est encore chaud.
Rouge de gêne, le néo-zélandais sursauta en reculant sa chaise, d'instinct - pour éviter la gifle potentielle qui pourrait lui arriver dessus.

"Sorry ! Je suis désolé, je..."

Fuck, fuck, fuck, fuck... Il saisit maladroitement un rouleau d'essui-tout qui trainait par là, dans le but d'aider Martin à se débarrasser de cette charmante tache qu'il avait désormais, mais, toujours aussi maladroit, ne réussit qu'à le faire tomber, ou plutôt projeter dans la situation, en plein dans le visage de Juan. Décidément, tout le monde y avait droit : Orwalle avait perdu son café, Martin s'en tirait avec une tache et peut-être des brûlures et Juan... Bah, c'était que de l'essui-tout, ça ne lui casserait pas le nez...
Ne perdant pas les couleurs de son visage, Alexandre finit par tout lâcher, par peur d'aggraver la situation, pour se prendre la tête dans les mains. Ohlalalala... Pour répondre à Martin, il laissa sa voix résonner dans un léger accent du sud de la Nouvelle-Zélande.

"... Je... Je m'appelle Alexandre, je... Vous le devinerez je... Suis fils de la... De la déesse de la Discorde... fit-il, toujours aussi désolé, gêné au possible."

Bah il était né avec un sacré fardeau... Semer la zizanie, c'était pas toujours très cool quand on avait dix neuf ans... Pour se faire des amis, c'est 'achement difficile.

Orwalle vit le garçon tendre la main, faisant valdinguer son café sur le fils d'Aphrodite. Elle fit une grimace en fermant les yeux. Elle aimait son café bouillant. Le pauvre mec allait finir avec des brûlures au troisième degré. Au moins.

L'essuie tout dans la tête de Juan, ensuite. La russe leva les yeux au ciel. Positivement gé-nial. On avait un brûlé et un à moitié assomé sur les bras. En plus, comme le plus agé de la bande semblait le plus doué pour provoquer des catastrophes, on était bien parti. La jeune fille omit d'étendre ses pensées vers ses propres capacités à attirer la chance.

Enfin, dans tout ça, il y avait un côté positif : de toute manière, elle n'avait plus envie de café. Elle se leva et repoussa sa chaise, puis prit le sopalin. Elle essuya la table et récupéra les morceaux épars de sa tasse en porcelaine. Elle ne craignait pas pour ses doigts, elle portait des mitaines de cuir. Elle alla jeter le tout et revint à temps pour connaître le nom du charmant gaffeur de service.

Alexandre.. Plutôt pas mal. Le prénom ou le garçon ? Orwalle faillit secouer la tête devant la débilité de sa voix intérieure. Elle se contenta de se rasseoir. Entamera la discussion, entamera pas ? Allez, pour une fois, on allait la jouer sociable et sympathique. Vu son bafouillement, il n'était pas particulièrement heureux d'être un enfant d'Eris.
Ohoh... Si la russe avait bien compris l'exposé de Lucas de tout à l'heure, il était l'un de ses neuveux ?
Ben merde alors.
Elle se décida enfin à dire quelques mots, ni aggressive ni faussement gentille, pour une fois.

- T'inquiètes, j'ai l'impression que t'es pas le seul ici à pas vraiment contrôler ton pouvoir, si c'est ça qui te gène. D'ailleurs, j'espère que c'est pas de faire voler le café, ton pouvoir, sinon je vais devoir me mettre au thé vert.

La fin dite avec un petit sourire, le style qui lui allait bien même si elle n'était pas au courant. Elle récupéra les croissants rescapés de l'orgie de l'autre morfale et les mit à l'autre bout de la table, soit devant Monsieur je-suis-tellement-beau-que-je-fais-genre-j'ai-jamais-faim.
Bon, les croissants étaient sauvés, le café était épongé, le gosse de la Discorde était à l'aise, qu'est-ce qu'elle avait oublié ?
Ah oui, le rejeton d'Aphrodite ébouillanté. Avec un soupir, elle attrapa un broc d'eau glacée qui trainait et le lui jeta dessus.
Voilà, normalement, il ne finirait pas trop brûlé.